Mise en cause pour un management jugé brutal par plusieurs témoignages dans une enquête de Libération en septembre, Sandrine Treiner a annoncé mardi sa démission de la direction de France Culture dans un mail interne envoyé aux salariés de la chaîne, comme l’indique également le Monde. «C’est avec une grande émotion que j’ai choisi de vous écrire. Ces derniers mois ont été compliqués. Pour notre collectif et pour France Culture que j’aime tant, je veux clore ce moment difficile. C’est pourquoi, en accord avec la direction générale, j’ai décidé de quitter la direction de France Culture», écrit Sandrine Treiner en préambule de ce long message, faisant le bilan de ses treize années au sein de l’antenne, d’abord comme conseillère de programmes d’Olivier Poivre d’Arvor, puis comme directrice de France Culture, nommée par Matthieu Gallet, en 2015.
En annonçant ainsi sa démission, Sandrine Treiner devance les résultats attendus la semaine prochaine d’une mission d’enquête et d’écoute auprès des salariés de France Culture, menée par le cabinet spécialisé Alcens. Cette procédure, ouverte par Radio France à la suite de l’enquête de Libé, a déclenché un afflux de témoignages, «bien plus d’une centaine» selon une source syndicale, à tel point qu’il a fallu allonger de plusieurs semaines le calendrier initialement établi. «C’est au-delà de ce que l’on pouvait imaginer, commente la même source. Même si certains y ont sûrement participé pour dire tout le bien qu’ils pensaient de la direction. Quand on se trouve avec une telle enquête, cela dit l’ampleur du problème.»
Le contenu de cet audit n’a pas filtré. Le cabinet Alcens (qui ne souhaite pas s’exprimer à ce stade) n’a pas terminé sa rédaction et n’a pas transmis d’éléments intermédiaires à la direction Radio France. Sollicitée, la présidente de Radio France, Sibyle Veil, reconduite pour un nouveau mandat en décembre, indique ne pas vouloir s’exprimer. De toute évidence, la patronne de l’entreprise publique n’a pas cherché à retenir à son poste la directrice de France Culture. En parlant dans son message interne d’un «accord avec la direction générale», Sandrine Treiner le reconnaît à sa façon. Elle ne précise pas de quoi sera fait son avenir professionnel. Elle devrait quitter la chaîne en fin de semaine.
«Sandrine a voulu mettre fin à un moment compliqué, qui avait assez duré selon elle. Depuis la parution de l’article [de Libé] et l’ouverture de l’enquête, le climat n’est pas optimal, moins serein», commente une source proche de la directrice de Culture. Au sein de la chaîne, «tout le monde était en attente de la restitution de l’audit, constate un salarié. C’est un calme trop pesant pour certains, des décisions managériales se font attendre, Sandrine était moins présente». Plus discrète et «beaucoup plus sympa», s’étonne un autre collaborateur. Début octobre, un nouveau numéro 2, Florian Delorme, ex-producteur apprécié en interne, avait été nommé pour remettre de l’huile dans les rouages d’une chaîne abîmée dans les coulisses par une ambiance délétère.
«Verticalité dictatoriale», «mise en insécurité», «humiliations» : il y a quatre mois, Libé racontait les pratiques de management de Sandrine Treiner au sein de France Culture, d’après une vingtaine de témoignages de collaborateurs. Ceux-ci décrivaient un «système de violence et de soumission, qui neutralise par la peur» ou une «politique de dénigrement généralisé» ayant entraîné au moins quatre signalements, portant des accusations de harcèlement moral et visant la direction de la chaîne, en 2022.
Dans son message ce mardi, Sandrine Treiner esquisse un mea culpa : «A côté de nos grandes réussites et de tous nos moments de joie partagée, j’ai aussi des regrets. J’ai déjà eu l’occasion de vous les confier. Il va de soi que j’ai fait des erreurs, et j’en suis désolée.» Ou encore : «Parfois, à l’évidence, renforcés par la distance, la séparation, la difficulté à se réunir, la réduction des temps informels, parfois aussi la vitesse des évolutions, le stress, la surcharge de sujets, nous nous sommes moins bien compris. J’en prends ici en responsabilité toute ma part.» Plus loin, elle explique également que «tout est plus périlleux pour les femmes. J’en ai moi-même fait les frais par le passé. Pour les femmes en responsabilité, d’une manière particulière. Nous voilà soumises à des injonctions contradictoires, subissant largement des représentations sociales bien établies auxquelles parfois nous avons encore du mal à répondre et que parfois malheureusement nous contribuons à entretenir.»
Sous la direction de Sandrine Treiner, qui a poursuivi le travail engagé avant elle par son prédécesseur Olivier Poivre d’Arvor, France Culture a vu son public continuer à s’élargir. D’après la dernière vague mesurée par Médiamétrie, son audience cumulée s’élève à 3,1% en novembre et décembre 2022, soit 1,7 million d’auditeurs quotidiens. En 2015, la station dépassait à peine les 2%. Parallèlement, l’antenne a été féminisée et l’offre numérique, notamment en matière de podcats, s’est développée. «Les résultats sont là, se réjouit Sandrine Treiner dans son message interne. C’est le passeport pour l’avenir à long terme de France Culture.»
source: Libération