Les australopithèques sud-africains étaient-ils contemporains de Lucy et d’autres espèces d’homininés d’Afrique de l’Est, élargissant par là même à une échelle quasi continentale l’insaisissable berceau de l’humanité ? Le fossile StW 573, baptisé Little Foot, un Australopithecus prometheus presque complet trouvé sur le site de Sterkfontein, en Afrique du Sud, « avait déjà mis le pied dans la porte », rappelle le géoarchéologue Laurent Bruxelles (Institut national de recherches archéologiques préventives, CNRS) : en 2015, une équipe internationale dont il faisait partie avait proposé une nouvelle datation, le faisant passer de 2,2 à 3,7 millions d’années – contre 3,2 pour Lucy, jeune représentante éthiopienne de l’espèce Australopithecus afarensis.
La même équipe a poursuivi ce patient travail de réévaluation des datations sur ce site à 35 kilomètres au nord-ouest de Johannesburg. Il figure parmi les plus riches en restes fossiles d’australopithèques – jusqu’à 500 vestiges pour un des gisements, dit « Membre 4 », où a été retrouvé, en 1947, le fossile STS 5, Mrs Ples (« madame Ples »), l’un des premiers crânes complets d’australopithèques. Les chercheurs aboutissent aux mêmes conclusions pour les représentants de l’espèce Australopithecus africanus, dont Mrs Ples fait partie : il va falloir réécrire les manuels pour les faire passer de 2,5 millions d’années environ à 3,4 millions d’années d’ancienneté. Là encore, un énorme saut dans le passé ! La nouvelle analyse est publiée dans la revue américaine PNAS du 27 juin.
Pour comprendre ce qui motive ces révisions de date massives, il faut se représenter les sites arpentés par les chercheurs. Si Little Foot, plus ancien, a été retrouvé dans une grotte karstique, les fossiles du Membre 4 ont été trouvés en surface, car l’érosion avait fini par décaper le plafond de la caverne dans laquelle ils s’étaient accumulés. « Les fossiles se trouvent dans une sorte de cône de sédiments et de pierres tombés dans la grotte par un trou dans son plafond, comme un sablier », explique Laurent Bruxelles.
Là aussi, les premières datations avaient pris pour référence des planchers de calcite recouvrant ce millefeuille. Mais le géoarchéologue, expert de la stratigraphie karstique, avait pu montrer que ces accumulations de calcites étaient trompeuses et qu’elles étaient intervenues bien plus récemment. Il a donc fallu faire à nouveau appel à une technique de datation alternative, la même que celle qui avait rendu justice en 2015 à Little Foot : la méthode dite « cosmogénique », qui s’appuie sur la mesure de la décroissance radioactive de certains minéraux.
source: Le Monde