EntretienLa commissaire d’exposition Nathalie Herschdorfer présente aux Rencontres de la photographie d’Arles « Un monde à guérir », dont les images sont tirées des collections de la Croix-Rouge.
Aux Rencontres d’Arles, l’exposition « Un monde à guérir » explore les archives photographiques du Mouvement international de la Croix-Rouge. Cette organisation mondialement connue, fondée en 1863 sous l’impulsion de l’homme d’affaires Henri Dunant, s’est très vite appuyée sur les images pour communiquer. Au fil du temps, la photo humanitaire est devenue un genre en soi, avec ses codes et ses thèmes, raconte Nathalie Herschdorfer, commissaire de l’exposition et directrice du musée Photo Elysée, à Lausanne.
Ses archives, qui comptent près de 1 million d’images, révèlent que des photographies ont été prises peu de temps après la fondation du mouvement. Les premières datent de la guerre civile aux Etats-Unis (1861-1865). Elles sont signées d’auteurs connus, Mathew Brady et Alexander Gardner, mais ces images-là ne montrent pas les champs de bataille ou les soldats : on voit plutôt les ambulances. Au XIXe siècle, on trouve aussi des photos de la guerre franco-allemande (1870), avec des images centrées sur les ambulanciers, dans des portraits très posés. L’emblème de la Croix-Rouge est partout. A cette époque, l’image est clairement tournée vers le soignant, pas vers les victimes. Elle est là pour prouver la réalité du travail humanitaire sur le terrain.
Il y a un basculement au début du XXe siècle, en parallèle des changements que connaît la photographie. Au début, celle-ci est une opération compliquée, réservée aux professionnels. Mais quand le processus se simplifie, c’est le personnel de la Croix-Rouge qui va prendre les photos. Et il va se tourner vers les victimes. Lors de la première guerre mondiale, il réalise des images de prisonniers de guerre et de réfugiés. La plupart du temps, les victimes y apparaissent comme une masse, un groupe anonyme, avec éventuellement un individu au milieu, venu apporter son aide. Et ce « héros » est souvent un homme blanc.
Dans les années 1920 s’opère un autre changement : les photographes commencent à s’intéresser à une figure qui deviendra par la suite dominante, l’enfant. On le montre sans adultes autour de lui (même s’il y en a dans le hors-champ), car l’enfant seul, blessé, souffrant, affamé symbolise la victime innocente. En 1921-1922, une campagne de la Croix-Rouge est menée en Russie, pays touché par une terrible famine. Sur les images qui ont alors été prises, on ne voit pas la population adulte, seulement les enfants. Cette figure perdure aujourd’hui : quand les organisations humanitaires veulent toucher le public, elles mettent en avant les enfants.
source: Le Monde